Thibaut Pez : Découvrez la pop sensible d’un “garçon formidable”
Il y a deux ans, Thibaut Pez suivait la campagne de François Fillon pour le journal Marianne. Puis il a décidé de plaquer le journalisme pour se lancer dans la musique. En juin, à 32 ans, il dévoilait son premier single, « Que tu meures », une chanson entêtante, avec un son très années 80 mais une sensibilité très actuelle. Le 13 septembre il sort son premier EP, « Garçon Formidable ». Quatre excellents titres qui nous ont donné envie d’en savoir plus.
Tu es passé de journaliste politique à musicien. Quel a été le déclencheur ?
Déjà, une obsession pour la musique. Cela me poursuit depuis que je suis très très jeune. Mais il s’est passé quelque chose il y a quelques années : je me suis autorisé à rêver de le faire. J’ai commencé à écrire des chansons qui étaient meilleures avec le temps. Il est arrivé un moment donné où j’étais en pleine campagne présidentielle, où je suivais la campagne de François Fillon avec beaucoup de dégoût face à tout ce qui se passait. Et en même temps, je rentrais chez moi le soir et j’écrivais des chansons d’amour qui disaient « Mon amour parfois j’aimerais que tu meures ». J’étais arrivé dans une position assez bizarre. J’étais là au boulot, mais la musique prenait de plus en plus de place. Et j’avais de plus en plus d’ambition — même si elle reste mesurée — pour la musique et j’avais envie de sortir un disque. Le journal où je travaillais a lancé un plan social et j’ai demandé à en faire partie. Cela m’a laissé un peu de temps pour travailler mes productions, pour rencontrer du monde, travailler ma voix. Et maintenant je sors mon premier EP.
Parmi tes références musicales, on reconnaît bien entendu le Daho des débuts. Mais qui d’autre ?
Daho a été un peu un catalyseur pour moi. En tant que jeune homosexuel qui se respecte, j’ai écouté beaucoup de chanteuses. J’ai écouté Mylène Farmer, Lana Del Rey, etc. J’ai découvert Daho assez tard, vers l’âge de 25 ans, et il y a notamment cet album, « Pop Satori », qui m’a troué le cœur. J’ai découvert qu’un homme avec une sensibilité proche de la mienne pouvait faire de la musique et avoir du succès. Cela a débloqué quelque chose chez moi. Je me suis autorisé à écrire des chansons dans un premier degré total. Donc Daho a été une étape majeure dans la construction de ce que je fais aujourd’hui. Au lycée, j’étais super fan de Radiohead, j’avais la tête de Thom Yorke sur tous mes classeurs. J’ai été très fan de LCD Soundsystem, ce sont eux qui m’ont fait aimer la musique électronique. Et puis après, j’ai été dans des trucs un peu plus pointus. La B.O. de mon coming-out, c’était les Smiths. La grande sensibilité de Morrissey, couplée à un grand sens de la rébellion, ça m’a roulé dessus, comme dans la chanson « There is a light that never goes out ». Il y a une chanson qui s’appelle Ask, qui dit « Ask me, ask me, ask me, don’t be shy ». C’est un pote hétéro qui m’avait fait écouter cette chanson et qui m’avait dit de bien écouter cette chanson. Je pense qu’il m’avait capté. Et ça été un tremplin. Sinon, j’adore la chanson française. J’ai été élevé avec Souchon, Le Forestier, Murat
Tu parlais de Mylène Farmer tout à l’heure…
Je sais qu’aujourd’hui ce n’est pas la référence la plus chic de la Terre. Mais quand j’étais petit, l’entendre chanter « Sans contrefaçon, je suis un garçon », « A quoi je sers », « Plus grandir » ça me parlait vachement. J’aime bien les chanteurs existentiels. Et elle, c’est vraiment une chanteuse existentielle. Je pense que son œuvre lui survivra. En tout cas, je la garderai avec moi. Un côté très désespéré, une sorte de romantisme noir dans lesquels je me reconnais, tout comme chez les Smiths, les Cure, les Cocteau Twins. Ce sont des artistes très différents de Mylène, mais dans les années 80, il y avait à la fois un côté très positif et très dark. J’aime bien quand les sentiments sont exacerbés en général.
Contrairement à Daho dont les textes sont parfois très « codés », les tiens sont plutôt directs.
Quand j’ai commencé à écrire des chansons, je me suis posé la question : est-ce que j’utilise le pronom masculin ou est-ce que je reste neutre ? Et après je me suis dit, non, on est en 2019, bien sûr que tu vas parler à des hommes, parce que c’est à des hommes que tu parles — en l’occurence plutôt à un seul. Il y a une volonté d’être un peu plus direct, c’est vrai. Si j’avais commencé la musique dans les années 80, je n’aurais sans doute pas pas pu faire ça. Parce que je n’aurais pas eu les moyens, j’aurais été dans une maison de disques et elle m’en aurait empêché. Là, je fais de la musique seul, alors…
Les références littéraires sont assez présentes chez toi. La pochette de « Garçon formidable » est une référence à Guibert.
Quand j’ai lu À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, ça m’a ruiné. Mais il y a des lectures qui te ruinent et qui t’exaltent en même temps. J’entretiens un rapport particulier avec certains écrivains. J’ai l’impression de les connaître. J’aurais bien aimé être l’ami qui sauve la vie à Guibert. Il y a aussi James Baldwin, avec La chambre de Giovanni. Je l’ai lu comme un miroir, avec ce que ça raconte de la détestation de soi. Je me suis reconnu dans ce livre. Sinon, j’adore Annie Ernaux. Et Duras, avec Le ravissement de Lol V. Stein. C’est très gai comme références ! La photo de Garçon Formidable, c’est un hommage à la cover du Mausolée des amants, de Guibert. Il semblerait que sur la photo originale, c’était une moustiquaire… J’ai pris ça pour un voile !
Peux-tu nous dire un mot sur chacune des chansons de l’EP ?
« Que tu meures », c’est l’une des premières chansons que j’ai écrites. J’ai commencé à écrire après une rupture très dure. Quand tu en arrives à penser « j’aimerais que tout soit fini » et « j’aimerais que toi tu meures, comme ça rien de tout ça n’existerait », tu es bien au fond du fond. C’est une chanson que j’aime beaucoup, et c’est la première sur laquelle mes amis ont flashé et pour laquelle ils m’ont dit « Thibaut, t’as du talent ». Cela m’a donné de la confiance.
« Garçon formidable », c’est une chanson de retrouvailles. Elle est sur un mode majeur, assez dansante, qui a l’air très joyeuse comme ça, mais qui est empreinte de mélancolie. De toute façon, je n’arrive pas à écrire sans mélancolie. Comme je te disais, j’écris au premier degré. J’ai rencontré mon grand amour à Montmartre. Pour les histoires d’amour, je pense qu’il y a un mythe qui s’écrit dans les premières semaines de la relation et sur laquelle toi tu cultives après ton jardin. C’est pour ça que la chanson se passe à Montmartre, même si le clip a été tourné ailleurs.
« L’état de grâce », c’est une chanson sur la passion qui doit laisser place à un amour et une complicité, avec peut-être moins de portes qui claquent… Quand la relation se transforme, est-ce qu’on arrive à transformer l’essai ? On m’a dit que l’état de grâce, c’était un concept journalistique. C’est vrai, mais c’est aussi un concept religieux et pour moi l’état de grâce amoureux, ça correspond aux deux ou trois premières semaines où tu prends tout pour un signe.
« En altitude », c’est une chanson sur la solitude retrouvée. Je ne prononce pas le mot solitude, mais je glisse des mots qui riment avec pour qu’inconsciemment ça fermente. C’est tout con, sinon, je vis au 6ème étage sous les toits et c’est devenu « En altitude ». Je fumais des clopes et c’est devenu « les auréoles des anges esseulés ». Au niveau de la prod, j’ai demandé au producteur de se rapprocher de ce que fait Radiohead. Il s’est fait plaisir !