5 raisons d’aller voir “Angels in America” à la Comédie Française
La Comédie-Française accueille dans son répertoire l’une des pièces les plus importantes de la culture queer de la fin du XXè siècle : « Angels in America », fantaisie tragique autour des année sida signée Tony Kushne,r est mis en scène dans la grande maison par Arnaud Desplechin, dans une version “courte” de 3h… au lieu des 7 originales. Après des premières représentations interrompues pour cause de Covid, le spectacle est de retour jusqu’au 14 mai 2023. Voici cinq raisons très gay de s’y précipiter…
Une histoire communautaire
Immédiatement couronnée des prix les prestigieux (Tony Award, Pulitzer…) et reconnue comme un classique instantané, Angels in America a été créée en 1991 aux États-Unis et trois ans plus tard en France. Fresque grandiose en deux parties, Angels… replonge ses spectateurs au plus noir des années sida puisque l’action se situe entre 1986 et 1990, à une époque où la maladie était considérée comme un “cancer gay”, où on ne connaissait aucun traitement efficace, et où le gouvernement du président Reagan se désintéressait complètement de la mort assurée de milliers d’homosexuels.
Si toutes ces dimensions sont évidemment présentes dans la pièce de Tony Kushner, Angels… est tout sauf un spectacle réaliste se contentant de reconstituer cette période. Parmi la multitude d’histoires qui s’entrecroisent, on en suit deux particulièrement : celle de Prior Walter, jeune séropositif en proie à des visions mystiques, et celle de Roy Cohn, puissant avocat ultra-conservateur aussi homophobe qu’homosexuel qui refuse qu’on dise qu’il est lui aussi atteint… Au cours de la pièce, on verra une drague dans des pissotières, un ange, un infirmier aimant se transformer en drag queen, des fantômes…
Un auteur “juif, homosexuel et marxiste”
“Juif, homosexuel et marxiste” : c’est la manière dont Tony Kushner aime à s’autodéfinir. Autant dire que l’auteur d’Angels in America est un marginal dans la société américaine, et le revendique, aussi bien dans son œuvre que dans sa vie. C’est ainsi qu’en 2003, il fait paraître dans le New York Times, de manière très symbolique et politique, un faire-part annonçant son mariage avec son partenaire, le journaliste Mark Harris… et ce alors que le mariage gay n’est pas reconnu dans l’État de New York, et encore moins dans l’ensemble des États-Unis.
Auteur de théâtre célébré, il est aussi un scénariste reconnu. Il a ainsi collaboré à plusieurs reprises avec Steven Spielberg pour lequel il a signé le script du remake de West Side Story et surtout le scénario du magnifique The Fabelmans qui vient de sortir au ciné.
Une série mythique
Une dizaine d’années après la création de la pièce, en 2003, la chaîne HBO confie la réalisation d’une mini-série de prestige au grand cinéaste Mike Nichols, qui engage un casting de rêve de stars multi-oscarisées pour la porter à l’écran. Al Pacino est ainsi un terrifiant et pathétique Roy Cohn, Meryl Streep endosse pas moins de trois rôles (dont celui d’un rabbin) tandis qu’Emma Thompson est stupéfiante en Ange de l’Amérique. Le rôle de Prior est quant à lui confié au jeune et joli Justin Kirk, qui s’était fait remarquer précédemment en gay aveugle dans Love ! Valour ! Compassion !, et qu’on a revu depuis dans diverses séries dont Weeds et la très homosensible Modern family. Couronnée par plusieurs Golden Globes et Emmy Awards, Angels in America marque une étape majeure dans la représentation de l’homosexualité et du sida à la télévision américaine.
Un acteur sur lequel on a très envie de se pencher
Difficile de ne pas remarquer, au milieu des excellents acteurs de la Comédie Française qu’Arnaud Desplechin a réunis pour sa mise en scène — Michel Vuillermoz, Dominique Blanc, Jérémy Lopez, Gaël Kamilindi —, l’élégant et séduisant interprète de Prior : Clément Hervieu-Léger. Âgé de 46 ans, ce comédien à la beauté presque androgyne ne les fait vraiment pas. Entré au Français il y a quinze ans, il enchaîne depuis les rôles et les mises en scène.
Ce n’est pas la première fois qu’e sa carrière lui a fait croiser l’homosexualité : il a ainsi travaillé au théâtre et au cinéma avec Patrice Chéreau, monté une pièce de Jean-Luc Lagarce (Le Pays lointain) et incarné une femme trans dans le téléfilm La Reine des connes en 2009.
Un homosexuel homophobe
Roy Cohn n’a pas été pour rien surnommé “le mauvais génie de l’Amérique”. Si la plupart des personnages d’Angels in America sont de pure fiction, Roy Cohn, lui, a bien existé, et son fantôme ne cesse de hanter les Etats-Unis : cet ultraconservateur antisémiste, anticommuniste et homophobe (alors qu’il était juif et gay…) fut ainsi le premier mentor d’un certain Donald Trump, dont il fut l’avocat.
Tricheur, menteur, violent, en lien avec la mafia, Cohn commença sa carrière comme assistant du sénateur McCarthy, hystérique procureur de la lutte contre les communistes dans les années 1950. Il joua également un rôle actif dans la condamnation à mort du couple Rosenberg, accusé d’espionnage au profit de l’Union Soviétique. Plus tard, il fut très proche des présidents républicains, que ce soit Richard Nixon ou Ronald Reagan, dont il soutenait les politiques très peu gay friendly ainsi que l’indifférence envers les malades du sida.
Grâce à la femme de Reagan, Nancy, il réussit néanmoins à se faire prescrire de l’AZT, seul médicament (à l’efficacité toute relative) contre le sida au début des années 1980, et ce alors qu’il niait être atteint de la maladie et prétendait souffrir d’un cancer du foie. C’est pourtant bien le sida qui l’emporta en 1986.