Fantasmes SM, maisons closes, amants… Marcel Proust et son jardin pas si secret
Alors que le musĂ©e Carnavalet propose de se plonger dans la vie et lâunivers de Marcel Proust grĂące Ă une passionnante exposition, Jock.life sâest intĂ©ressĂ© aux rapports longtemps tabous de Proust avec les hommesâŠ
“La vérité sur Proust ne peut se dire sans scandale”. Cette formule de Jean Cocteau dit bien que l’auteur de la monumentale Recherche du temps perdu a eu une vie plus sulfureuse que ce que laisserait penser son image de dandy maniéré et maladif ou encore son style aux phrases si longues et si précieuses.
Car Proust était un familier des bordels pour garçons qui fleurissaient à Paris au début du XXè siècle ! Il semblait avoir un goût pour les pratiques SM, comme spectateur au minimum : c’est en tout cas ce qui ressort à la lecture de certaines de ses pages, où le baron de Charlus prend du plaisir dans la douleur : “Ces sons étaient si violents que, s’ils n’avaient pas été toujours repris un octave plus haut par une plainte parallèle, j’aurais pu croire qu’une personne en égorgeait une autre à côté de moi et qu’ensuite le meurtrier et sa victime ressuscitée prenaient un bain pour effacer les traces du crime. J’en conclus plus tard qu’il y a une chose aussi bruyante que la souffrance, c’est le plaisir.”
L’Hôtel du libre échange
Pur fantasme littéraire n’ayant rien à voir avec la vie de l’écrivain ? On aurait pu le penser sans l’existence d’au moins un rapport de police faisant état de la présence de Marcel dans un des plus fameux lupanars masculins de la capitale. Le 11 janvier 1918, l’Hôtel Marigny fait l’objet d’une descente de police à la suite d’une dénonciation : une lettre anonyme accuse l’établissement de “facilit(er) la réunion d’adeptes de la débauche antiphysique”.
Même si elle reste scandaleuse, l’homosexualité n’est pas un crime dans la France de l’époque, pas plus que la prostitution : les maisons closes ont pignon sur rue. Si la police s’intéresse au Marigny, c’est parce qu’on y consomme semble-t-il de l’alcool après les heures réglementaires, et que certains des pensionnaires du lieu sont mineurs. En effet, dans les chambres, les policiers interpellent plusieurs couples composés de messieurs de la bonne société et de garçons âgés de 17 à 19 ans.
Dans un salon du rez-de-chaussée, le commissaire de la brigade des mœurs note la présence de quatre ”individus aux allures de pédérastes” en train de boire du champagne : le propriétaire des lieux, Albert Le Cuziat, deux jeunes militaires en convalescence et un certain “Proust Marcel, 46 ans, rentier, 102, Boulevard Haussmann”. Si Le Cuziat est condamné à 4 mois de prison et 200 francs d’amende, Proust n’est pas inquiété et son nom même pas cité dans la presse. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2005 qu’on découvrira son implication dans cette affaire. La présence de l’écrivain au Marigny n’est pourtant pas un hasard, Proust connaissant très bien Le Cuziat — un personnage qui a inspiré en partie le personnage de Jupien dans son roman —, et lui ayant même apporté son concours financier pour ses différentes affaires, que ce soit l’achat d’un établissement de bains propice aux relations homosexuelles ou l’acquisition de l’Hôtel Marigny…
Reynaldo, Lucien, Alfred et les autres…
Hors de ces lieux, que sait-on de la vie sexuelle et sentimentale de Proust ? Pas grand-chose, son frère Robert ayant détruit une grande part de sa correspondance intime après sa mort, ce qui permet aujourd’hui encore à des historiens et exégètes de le prétendre… asexué, ou homosexuel n’étant jamais passé à l’acte…
On connaît cependant avec certitude au moins un de ses amants : le compositeur d’origine vénézuélienne Reynaldo Hahn, musicien bien oublié mais idole à l’époque des salons parisiens aux allures de beau bear barbu aux yeux de velours. Proust surnommait Reynaldo “mon petit maître”, tandis que celui-ci l’appelait “mon petit poney”, manière de dire qu’il le chevauchait… Leur relation amoureuse fut suivie d’une amitié indéfectible qui se prolongea vingt-cinq ans, jusqu’à la mort de Proust en 1922.
D’autres noms de mondains sont régulièrement évoqués parmi ses amants — Lucien Daudet, le fils d’Alphonse Daudet, ou le dandy Robert de Montesquiou, inspiration de Charlus — ainsi que quelques hommes du peuple beaucoup plus jeunes que lui, notamment Alfred Agostinelli, son cadet de 17 ans, dont il fait son chauffeur puis son secrétaire. Il est fou de ce joli garçon rondouillard et l’installe chez lui en compagnie de… sa fiancée. Lorsqu’Alfred meurt à 25 ans dans un accident d’avion en 1914, Proust est inconsolable : “Cet ami est la personne qu’avec ma mère et mon père j’ai le plus aimée”, écrit-il. Il trouvera le moyen de le rendre immortel en en faisant un des personnages centraux de La Recherche… sous le nom… d’Albertine.