Ciné : “Moneyboys”, un très beau film sur la prostitution masculine en Chine
Pour son premier film, le réalisateur chinois C.B. Yi nous conduit à la rencontre de Fei, un jeune homme qui se prostitue à la fois pour aider sa famille et pour s’émanciper… Un (grand) cinéaste est né.
“Si tu vends ton corps, tout le monde te méprisera.” Nichée au cœur du beau premier film du réalisateur chinois C.B. Yi, cette réplique est comme une blessure toujours à vif pour son héros, Fei. Car Fei est un moneyboy, un garçon qui a quitté son village natal pour la grande ville où il se prostitue afin d’aider financièrement sa famille. Dans cette nouvelle vie, il rencontre des solidarités inattendues, de l’entraide, l’amour peut-être, mais aussi la violence de certains clients, les répressions policières dans un pays où l’homosexualité est officiellement tolérée mais la prostitution interdite… Par moments, sa vie semble facile : les beaux vêtements, les appartements confortables, les relations tarifées presque tendres, les amitiés… Dans d’autres, tout vole en éclats. Alors Fei retourne à la campagne. Il croit trouver un refuge auprès de sa famille. Mais ce qu’il découvre, c’est que si on accepte son argent, on a honte de lui, de sa vie, qu’on le rejette pour ce qu’il est.
Moneyboys parle de cela : d’essayer de trouver sa place et de se cogner sans cesse. De se chercher et d’avoir du mal, tant de mal, à se trouver. D’apprendre douloureusement à s’accepter, s’aimer. D’accepter d’être aimé. A travers le parcours de Fei, ce sont bien ces questions qui nous concernent tous que déploie avec brio ce film.
Merveilleusement incarné par Kai Ko, acteur taïwanais plein de grâce, Fei est de tous les plans de ce film qui réussit l’exploit d’être à la fois sensuel et distancié, doux et cruel, apaisé en apparence et rapide en réalité. Car derrière les longs plans séquences qui constituent Moneyboys, derrière ces cadrages absolument somptueux qui composent le film (y a-t-il un seul plan qui ne soit pas une splendeur ici ?), se cache une urgence que réussit à capter mine de rien le jeune réalisateur. Car tout va vite dans la vie de Fei : le départ, la réussite, les rencontres, la fuite, le désir, la peur, le remords, l’abandon… Tout va vite car C.B. Yi ne craint pas les ellipses, il s’en sert même avec une habileté étonnante pour faire accélérer le temps là où ses longues séquences semblent le ralentir.
Né en Chine, parti à Vienne en Autriche à l’adolescence, C.B. Yi y a étudié le cinéma sous la direction d’un immense cinéaste, Michael Haneke (le réalisateur doublement palmé d’Amour et du Ruban blanc), dont il a à l’évidence retenu les leçons de mise en scène sans pour autant en adopter la noirceur.
Car Moneyboys est un film lumineux. Le chemin escarpé qu’emprunte Fei pour devenir lui-même est ainsi illuminé par ses retrouvailles avec Long, un ami d’enfance visiblement amoureux de lui, et qui va avoir la patience et l’énergie de l’apprivoiser. On n’oubliera pas cette scène merveilleuse en discothèque où le si vivant Long réussit enfin à entraîner Fei sur la piste, et à le faire sourire.
Tourné à Taïwan en raison des difficultés à raconter cette histoire en Chine, Moneyboys impressionne par sa maîtrise, bouleverse par sa pertinence, et séduit par sa beauté et celle de ses personnages.