Hervé Lassïnce, coscénariste de « Drôle » (Netflix) : « Dans le stand-up, il n’y a pas beaucoup de gays… »

C’est la série de Netflix qui crée la surprise et dont tout le monde parle actuellement. Elle traite de l’univers du stand-up à travers quatre personnages attachants et criants de vérité. JocK.life a rencontré l’un des coscénaristes de « Drôle », Hervé Lassïnce.

Publié le

Quel a été ton rôle dans la série ?

J’ai été engagé par Fanny Herrero [la créatrice de Dix pour Cent et de Drôle] pour l’aider à créer des concepts de séries pour Netflix. Elle devait en écrire trois en un an. On a proposé d’abord un premier concept, une fable collapsologique en France. Netflix a été très circonspect sur cette histoire. Du coup, on est parti sur le deuxième sujet qui était de raconter la vie de stand-upeurs à Paris. Netflix a adoré. On s’est lancé et petit à petit, je me suis retrouvé à créer la série à ses côtés… J’ai écrit l’épisode 1 avec elle. J’ai été promu conseiller artistique. J’ai participé aux castings. Je donnais mon avis sur les costumes, les décors…

Fanny Herrero et Hervé Lassïnce / DR

Comment as-tu rencontré Fanny Herrero ?

On se connaît depuis longtemps. On était dans une école de théâtre ensemble. On est resté très amis… On partageait beaucoup artistiquement quand elle était sur Dix pour cent. C’est peut-être ça qui lui a donné l’idée de faire appel à moi alors que ce n’est absolument mon métier… À la base, je suis plutôt comédien et photographe…

Qu’est ce qui t’a plu dans l’écriture de Drôle ?

A l’origine, je ne connaissais pas grand-chose du stand-up. Je connaissais vaguement le Djamel Comedy Club. Fanny a dîné avec Gad Elmaleh qui lui a dit qu’il y avait plein de choses à faire dessus, que c’était un univers incroyable. A la suite de cela, Fanny m’a emmené au Paname Comedy Club. C’était fascinant de voir ces artistes arriver avec tout leur background socio-culturel et sortir leurs vannes. Ils n’ont que sept minutes ! C’était devenu évident pour nous qu’il y avait un truc à faire… Dans leurs sketchs, ces jeunes gens s’autorisent à parler de tout : ils peuvent parler de sexualité féminine comme de terrorisme… Cette liberté nous plaisait beaucoup. Et tout le monde peut venir… Ce sont souvent des gens qui n’ont pas naturellement accès à d’autres formes de cultures, comme le théâtre ou l’opéra par exemple. On aimait l’idée qu’un Sénégalais ou un Algérien viennent raconter des trucs que l’on n’entend presque jamais.

drole netflix
Crédit : Netflix

Comment avez-vous trouvé les acteurs ?

Le casting a été très long et intense. Comme on peut l’imaginer, le rôle d’Apolline a été plus facile dans le sens où il y a beaucoup plus d’actrices qui correspondent au profil du rôle. Et quand on a rencontré Elsa Guedj, on est tombé en amour pour elle. On en a vraiment bavé pour trouver les deux acteurs vietnamiens parce qu’ils ne sont tout simplement pas nombreux… Ce qui était compliqué, c’est qu’on ne voulait pas d’acteurs stéréotypés. Il fallait impérativement qu’ils aient un truc singulier physiquement qui les fassent sortir de l’image habituelle des gens de banlieue. En plus, Fanny voulait que la série soit « feel good ». Il fallait qu’on le ressente dans le choix des acteurs. Les rôles de la série sont des personnages de la France dans laquelle on vit. Il fallait que ce soit réel. Ça me fait penser aux homophobes qui te disent : « Maintenant dans les séries, il faut qu’il y ait systématiquement une trans, deux lesbiennes… etc. » Excusez-nous, mais on existe. Cette représentation est la vraie vie…

Lire aussi : Hervé Lassince : La sexualité et le désir tiennent une part importante dans mes photos

N’y a-t-il pas une deuxième lecture plus politique de la série ?

Montrer ce type de personnages à l’écran est déjà un acte politique. Netflix a été, de ce point de vue, extrêmement accueillant. Un casting pareil, c’est assez exceptionnel… En plus, la série aborde des sujets vraiment politiques : la précarité au travail, le racisme ou même le choix des femmes entre carrière professionnelle et maternité… Ces thèmes font partie de la réalité de la vie aujourd’hui. Alors oui, Drôle est aussi politique… Par exemple, dans le scénario initial de la série, le compagnon d’Aïssatou était blanc, il s’appelait Vladimir. On s’est dit à un moment : « Mais pourquoi Vlad ne serait-il pas noir ? ». Dans la fiction française, les couples sont souvent métissés. Alors pourquoi Aïssatou n’aurait-elle pas un petit ami noir ? C’est Shirley Souagnon qui nous a convaincus…

Crédit : Netflix

Dans la série, il n’y a pas de gays et dans le stand-up, en général, il y a très peu de gays. Pourquoi, d’après toi ?

Dans le premier scénario que nous avons soumis, il y avait six personnages principaux. Parmi eux, il y avait un garçon du sud-ouest, rugbyman, avec un accent marqué : il était racisé, musulman pratiquant et gay, complètement out. Et en fait, on s’est rendu compte que ça faisait trop de critères qui finalement, rendait le personnage peu crédible… Il a donc disparu de la série, d’autant que six personnages dans une série, c’était beaucoup trop.

C’est vrai que dans le stand-up, il n’y a pas beaucoup de gays. Il y a plus de lesbiennes, en revanche : Fanny Ruwet, Shirley Souagnon ou à l’étranger Wanda Sykes que j’adore… En ce moment, il y a une star du stand-up parisien que j’avais toujours perçu comme hétéro. Il raconte ses mésaventures avec des femmes et tout à la fin de son spectacle, il dit une phrase qui fait comprendre au public qu’il est homo. Personne n’en parle comme pour préserver l’effet de surprise. Dans le stand-up, tu parles de toi mais tu en fais quelque chose d’universel à l’instar d’une Blanche Gardin, par exemple. Peut-être que les gays n’arrivent pas à relier leur vie à celle des autres…

Qui sont tes humoristes préférés ?

Je ne vais pas parler de la scène française pour ne pas faire de jaloux… Si ! Je peux dire Blanche Gardin, c’est la meilleure. Et Panayotis Pascot qui est vraiment un petit surdoué. En fait, le stand-up français est une jeune scène. Aux États-Unis, j’aime beaucoup Dave Chapelle même s’il a eu des propos transphobes. J’adore Hannah Gatsby ou Ali Wong, elles sont extraordinaires.

Il y aura donc une deuxième saison ?

Les gens ont tellement vite bingé la série que la demande était très forte. On ne va pas pouvoir attendre trois ans avant de proposer la suivante.

« Drôle » actuellement sur Netflix.

Tu en veux encore ?