“On s’aime d’amour mais on ne couche pas ensemble” : 3 couples tĂ©moignent
Certains couples sâaiment, sans ĂȘtre complices au lit. Nous avons rencontrĂ© trois duos solides, qui nagent dans le bonheur sans avoir fondĂ© leur relation sur une quelconque complicitĂ© sexuelle. Un choix bizarre ou une autre façon dâaimer ? Pour Jock, ils lĂšvent le voile.
Mais que vient faire le désir dans le couple ? Rappelons-le, le mariage a d’abord été l’affaire des notaires, soucieux de régler les héritages. Le couple a longtemps été une histoire d’arrangements.
En 2023, les couples gays version 3.0 que nous avons rencontré ont en commun des sentiments solides, éprouvés sur la durée (et parfois dans les difficultés de la vie) et une quasi-absence de sexualité en commun. « Mon souhait, ça n’était pas ça, moi au début, je voulais une passion sexuelle et une passion amoureuse en même temps, parce qu’on nous raconte que c’est possible » dit Jacques, 55 ans. `
Quand il rencontre Frédéric, 10 ans de plus, il le désire follement et tous deux connaissent des nuits sans fin, des expériences nouvelles, des orgasmes inoubliables. Les années ont éteint cette flamme. Sans rien entacher à la complicité qui les unit et se renforce chaque jour : « Nous restons tactiles, amoureux, nous sommes complices et libres, chacun va chercher ailleurs ce qui le tente. C’est clair depuis le début, nous nous aimons assez pour nous passer de sexe, du moins de sexe dans le couple, ça n’est pas ce qui nous lie » explique Frédéric.
Ils respirent le bonheur, leurs goûts sexuels ont évolué, chacun de leur côté. Ils en parlent de temps en temps et se font de petits séjours, en solo, au Cap d’Adge ou à Gran Canaria. « Quand j’étais plus jeune et que je croisais un mec au sauna qui me suppliait de ne rien dire à son mari, je savais déjà que je voulais éviter ça et ne pas y aller en me cachant, dans la honte » ajoute le daddy. Leur libido, un peu ralentie, reste vivace, mais « peut-être un peu moins centrale qu’à 30 ans » nous dit-il sans regret.
Un coup de cœur
C’est bien un coup de cœur qui a réuni Eric et Stéphane, 38 et 41 ans. Ils s’admirent, se câlinent, dorment collés-serrés mais ont toujours cultivé une sexualité en dehors de leur couple : « Nous avons des règles pour tout, comme prévenir si on ne rentre pas dîner et partager toutes nos vacances, sauf les week-ends en famille. Quand il est chez sa mère, je reçois mes amants, il est au courant » raconte Eric.
Quand ils ont choisi de vivre ensemble, c’est parce qu’ils étaient certains d’avoir envie de se voir tous les jours. Huit ans après, ils n’ont aucune envie de vivre éloignés. Quand Eric a déménagé en Auvergne pour le boulot, Stéphane l’a suivi, avec un sentiment de fidélité qui concerne plus l’attachement affectif que le sexe : « Il faut être réaliste, on a tilté sur une appli, on a parlé très vite de garder nos amants et d’aider l’autre à ne pas être dans ces trucs de jalousie sordide. Le sexe, entre nous, était un peu basique. Nous avons expérimenté des choses, chacun de notre côté. Lui est plus dans le massage doux, façon tantra, moi plus dans le fétichisme. On a chacun notre territoire d’exploration, disons que c’est 10% du temps libre. »
Ils ont l’air fusionnel, se textotent plusieurs fois par jour, alternent les jours de cuisine et de ménage. Ils prennent beaucoup de temps à faire plaisir à l’autre, à être attentif à son bien-être. « Mais sans pénétration » plaisante Eric, qui affirme qu’au moins, chez eux, les choses sont claires.
Des règles très gays
« On ne fait pas comme nos collègues hétéros qui passent leur temps à essayer de choper en jouant les maris fidèles, dans la peur d’être découverts » disent tout de suite Kevin et Sam, le troisième couple. Tous deux ont une petite trentaine et une libido « explosive. »
L’idée qu’un couple doive faire des efforts pour continuer à faire l’amour, entretenir le désir, ça leur semble une hérésie. C’est un modèle qu’ils veulent éviter, avec trop de mensonges et de faux-semblants. « Le désir est là, ou il n’est pas là » ajoute Sam, un peu abrupt. Aucun des deux ne se sent menacé par les amants de l’autre, leur envie d’être ensemble est à la fois charnelle et calme. Les câlins sont spontanés, les caresses plus douces que lubriques, sans que rien ne soit interdit.
Leur vie amoureuse a commencé sur les applis et tous deux cherchaient, avant même de se rencontrer, un couple libre. Trouver un partenaire dès que l’envie leur prend, partout où ils passent, ils l’ont toujours fait. Au début, ils ont invité un troisième et ont pris l’habitude de draguer on line, chacun de leur côté. « On me demande parfois si Kevin est mon meilleur ami ou mon super coloc, mais c’est bien mon mec » rigole Sam.
Sexuellement, ils ont pris leur pied, un peu, au début. Mais ils ne sont pas sur le même rythme. Ensemble, ils sortent, ils rient (beaucoup), partagent leur lit et une bande d’amis. Mais pas leurs amants. « Nous avons des goûts quasi-opposés pour les garçons mais pour tout le reste, nous partageons tout ce qu’il est possible de partager. Je l’aime d’amour, je veux l’épouser, mais pas sur le modèle de mes grands-parents. » Ils sont même allés à la consultation PrEP ensemble.
La liberté sexuelle, pour eux deux, c’est la seule voix possible. À bien les interroger, on sent chez eux, combien le goût du désir fou, brûlant, fugace est plus excitant quand il est unique ou se limite à quelques rendez-vous. « Le monde queer qui se construit et qui date d’avant nous, ça sert à envoyer bouler les conneries bourgeoises des parents qui se déchirent pour un regard posé sur quelqu’un d’autre » philosophe Sam. Sa mère a divorcé 4 fois « pour des histoires de cul à l’extérieur de son couple, des trucs qui n’en valaient sûrement pas la peine ».
Amour durable
Ces trois couples ont choisi de s’éloigner des normes, sans se cacher. Kevin, le plus jeune, rétorque que ces « normes hétérotes » n’existent plus depuis longtemps, juste dans les comédies romantiques d’un autre temps ou « pour la galerie. » En donnant plus d’importance aux sentiments qu’au désir sexuel, ils veulent aimer à leur façon, en partageant beaucoup, mais pas tout et surtout longtemps. Sans se bercer d’illusions et de clichés trop limitants, ils vivent guidés pour leur soif conjointe de plaisirs fugaces et d’amour durable. Dans leur cas, ça va très bien ensemble.