Ciné : “Le bleu du caftan”, l’étoffe du désir
Dans une ville marocaine, l’arrivée d’un bel inconnu vient bouleverser l’équilibre fragile d’un couple… Pour son deuxième film après le déjà très remarqué « Adam », Maryam Touzani réussit à parler avec une infinie délicatesse d’un des secrets les mieux gardés de son pays : l’homosexualité. « Le bleu du caftan » est une belle réussite…
De 6 mois à 3 ans de prison : telles sont les peines encourues par les homosexuels au Maroc. Et même si la répression y est moins sévère et systématique que dans d’autres pays de la région, la vie des gays y est forcément compliquée et discrète, pour ne pas dire secrète pour de nombreux d’entre eux. Sans doute fallait-il passer par ce préliminaire pour appréhender ce qui se passe dans le deuxième film si subtil et pudique de Maryam Touzani. Ou comment un secret forcé ronge une vie, et même plusieurs.
Au centre de cette histoire, il y a un couple marié, Halim et Mina. C’est un couple qui s’aime, se respecte, se soutient. Mais si Halim aime Mina, il ne la désire pas. Il préfère les hommes et assouvit ses penchants lors de rencontres anonymes dans les saunas. Elle le sait, cela ne change rien à ses sentiments pour lui, d’autant moins à ce moment de leur vie où elle se sait dévorée par un cancer qu’elle refuse de soigner. Cela pourrait s’arrêter là : Halim et son secret, Mina et sa maladie, leur couple confronté à la mort. Mais voilà que surgit Youssef, le nouvel et jeune apprenti d’Halim dans l’atelier de couture où il confectionne des caftans traditionnels pour la bonne société locale.…
La délicatesse
Ce qui est très réussi dans Le bleu du caftan, c’est que sur ces prémices, la réalisatrice élabore un récit qui s’écarte avec délicatesse et finesse de ce qu’on aurait pu imaginer. Ce qui va se tisser au sein de ce trio est d’autant plus beau et bouleversant que cela n’est constitué que d’amour.
La cinéaste filme avec attention les rapports entre ses trois personnages, de la même manière qu’elle s’attarde sur les gestes d’artisan d’Halim, sa façon de caresser les tissus, de reproduire les techniques ancestrales pour créer ces robes traditionnelles dont il est l’un des derniers créateurs.
Tout le film est ainsi, élégant, fragile, effleurant les sentiments et les non-dits, jamais démonstratif dans ce qu’il donne à percevoir de l’évolution de ces êtres qui vont apprendre à s’entraider, l’une à mourir, l’autre à vivre.
Un trio d’acteurs émouvants
Parmi les plus grandes qualités de ce film qui n’en manque pas, il y a l’interprétation de ses trois acteurs, que ce soit la performance de Lubna Azabal dont la transformation physique au fur et à mesure que le cancer l’emporte est tout à fait impressionnante, ou celle de Saleh Bakri, tout en retenue et en intériorité. Et puis il y a la beauté sereine, douce, tranquille de Ayoub Missioui dont on comprend sans peine qu’elle ait obligé Halim à accepter de se confronter à sa honte, à sa résignation, à son secret, à cette tradition en apparence légère comme le tissu d’un caftan et en réalité pesante comme un tabou. Le bleu du caftan est fait d’une belle et douce étoffe dans laquelle on a envie de se lover.