“West Side Story” au Châtelet : une version brillante d’un musical culte
“West Side Story” est de retour au Théâtre du Châtelet dans une toute nouvelle mise en scène. Nous avons assisté à l’une des premières représentations et on peut vous le dire, c’est absolument FA-BU-LEUX !
West Side Story est un peu à la comédie musicale ce que La Flute enchantée ou La Traviata sont à l’opéra : un classique indémodable qu’il faudrait avoir vu au moins une fois dans sa vie.
Preuve de l’amour du public pour cette œuvre, les nombreuses productions qui ont émergé ces dernières années à Broadway (la dernière en date est celle d’ Ivo Van Hove de 2010, avortée pour cause de Covid) mais aussi en France (Reims et Orléans en 2022) et en Belgique (une version tout en français présentée cet été dans le cadre du festival Bruxellons !). Certes, le remake au ciné de Steven Spielberg a pu participer au regain d’intérêt pour cette œuvre. Mais il faut reconnaître que, près de 70 ans après sa création, le musical imaginé par Leonard Bernstein, Stephen Sondheim, Arthur Laurents et Jerome Robbins brille toujours par sa splendeur et son modernisme. Quand on pense que les producteurs de l’époque ne croyaient pas au projet !
West Side Story, ce sont bien entendu ces chansons, devenues pour la plupart des standards : America, Tonight, Maria, Somewhere…. pour n’en citer que quelques unes. C’est aussi le renouvellement d’un genre alors en perte de vitesse. Ici, la musique et la danse sont utilisées à des fins dramatiques et non plus uniquement récréatives. Pas de happy end non plus, monnaie courante sur les scènes de Broadway. Mais c’est surtout son livret qui prend une curieuse résonance aujourd’hui. Car comment ne pas voir dans cette relecture de Roméo et Juliette entre un Américain polonais et une immigrée portoricaine sur fond de guerre des gangs, une projection plus que jamais d’actualité de nos fractures sociales actuelles ?
Broadway à Paris
On ne va pas y aller par quatre chemins. La nouvelle production de West Side Story au Théâtre du Châtelet est l’une des meilleures que nous ayons eu l’occasion de voir. Ce n’est pas la première fois que le Châtelet propose une mise en scène de ce musical. Mais le cru 2023 gagne le match haut la main en réunissant tout ce que l’on peut espérer : un cast au diapason, une scénographie magnifique et surtout une parfaite compréhension de l’œuvre originale.
Cette version est à l’origine une production allemande de 2022. Elle est composée d’une équipe artistique anglo-saxonne dont beaucoup de membres ont fait leurs armes à Broadway ou dans le West End. Et ça se voit ! À commencer par Lonny Price, le metteur en scène, à qui l’on doit la version concert mémorable de Sunset Boulevard avec Glenn Close. La scénographie, elle, est assurée par Anna Louizos, nommée plusieurs fois aux Tony Awards. Ses décors modulables rivalisent d’ingéniosité pour nous immerger dans l’atmosphère particulière des quartiers populaires de New York. C’est tout simplement somptueux.
Quant aux danses, elles sont supervisées par Julio Monge. Cet artiste originaire de Puerto Rico est un familier du travail de Jerome Robbins dont il a repris les chorégraphies pour plusieurs scènes internationales. Ici, il nous en fait ressentir toute la quintessence. Dès l’ouverture, on se prend de plein fouet l’énergie belliqueuse des Jets et des Sharks, les deux gangs ennemis, avant d’être toujours autant émerveillés par la rencontre “coup de foudre” entre les deux amoureux, Tony et Maria. Belle réussite aussi que le tableau entièrement dansé sur Somewhere, parenthèse onirique qui invoque un ailleurs salvateur avant le dénouement tragique.
Un casting au diapason
Piégés au milieu des bandes rivales qui se font la guerre, Tony et Maria dénotent par leur idéalisme et leur foi en l’amour. Ils sont en quelque sorte le contre point au drame qui se déroule sous leurs yeux et dont ils sont, malgré eux, à l’origine. Tous les deux sont des rôles casse-gueules qui peuvent vite sombrer dans la mièvrerie. L’équilibre à trouver n’est pas évident et c’est pourtant ce que réussissent parfaitement Jadon Webster et Melanie Sierra. Le premier se montre aussi viril que romantique et nous cueille dès ses premiers airs. Melanie Sierra, elle, donne à Maria un déterminisme qui tranche avec son innocence. Elle se montre particulièrement glaçante et émouvante dans un final où le temps semble comme suspendu.
Le reste de la troupe est du même acabit. Si on ne devait en citer qu’une, ce serait peut-être Kyra Sorce dans le rôle d’Anita qui, outre un flamboyant America, excelle dans sa confrontation avec Maria sur A Boy Like That. Quant aux interprètes des Jets et des Sharks, préparez-vous à vous rincer l’œil car ils ont une présence pour le moins musclée…
Bienheureux ceux qui découvriront West Side Story pour la première fois avec cette version, car elle est, à tous points de vue, une vraie réussite. Dépêchez-vous de réserver car les places partent très vite. Pour ceux qui n’habitent pas Paris, le spectacle sera ensuite en tournée dans plusieurs villes françaises (Lyon, Bordeaux, Rouen et Nantes). Vous pouvez aussi prolonger le plaisir en écoutant l’excellent podcast de Laurent Valière qui revient sur la création de l’œuvre. À voir aussi, dès 20 décembre sur Netflix Maestro, biopic de Bradley Cooper sur Leonard Bernstein qui n’élude pas la bisexualité du musicien. Car oui, West Side Story a été créée par des artistes LGBT et c’est loin de nous déplaire.