Avec les éditions Akata, le manga gay sort du placard
Le manga gay est-il en train de prendre son essor? À Jock.life, nous recevons régulièrement depuis quelque temps des mangas gays de qualité, publiés par les Editions Akata. Nous avons voulu en savoir plus avec Bruno Pham, directeur de collection dans cette maison d’édition basée dans un petit village du Limousin.
Il se passe bien quelque chose, confirme Bruno Pham… et cela a un petit lien avec la France. “Ce qui a déclenché tout ça, ce sont les débats autour du mariage pour tous. J’ai été effaré, je ne m’attendais pas à ça.”, explique-t-il. La prise de conscience de l’éditeur s’est accompagnée de celle d’un autre homme de l’autre côté du globe, l’illustrateur Gengoroh Tagame. “Il y a toujours eu des personnages LGBT dans les mangas, mais il y a clairement un tournant avec Le mari de mon frère, qui a été un gros succès”, indique-t-il.
Le mari de mon frère, c’est la première œuvre mainstream de l’auteur gay jusqu’ici spécialisé dans la bédé gay érotique, à tendance BDSM (qu’on peut voir notamment dans la revue TTBM) . Le manga, publié en trois tomes, a été un succès commercial et critique (il a obtenu notamment le prestigieux Prix Eisner).
“Gengoroh Tagame connaît bien la France et il a observé la même chose au moment du mariage pour tous. Il a créé Le mari de mon frère au Japon, pour le jour où il y aura ce genre de débat dans son pays. Son analyse est que c’est l’ignorance qui apporte ce genre de réactions excessives.”, résume Bruno Pham.
Le succès de Tagame en a entraîné d’autres. “Les éditeurs japonais sont aussi des entreprises qui ont besoin de gagner de l’argent et qui surfent sur les tendances.”, note l’éditeur, avant de préciser: “Tagame a été le premier mangaka ouvertement gay, et il a aussi une aura internationale, il est exposé dans le monde entier. Il a influencé beaucoup de monde.”
Outre les œuvres de Tagame — qui après Le mari de mon frère a dessiné et écrit une autre série grand public, Our Colorful Days —, Akata a publié également Comme sur un nuage de Okura et Coma Hashii ou Asana n’est pas hétéro de Sakuma Asana. Toutes ont en commun d’aborder l’homosexualité ou les questions de genre avec finesse. Cela n’est pas rien pour un pays comme le Japon où le mariage n’est toujours pas ouvert aux couples de même sexe.
En revanche, ne parlez pas à Bruno Pham de Yaoi ou de boy’s love. Ces deux sous-catégories de mangas gays, qui, pour le dire rapidement, désignent dans le jargon populaire les mangas qui mettent en scène des histoires entre garçons (le Yaoi étant censé viser un public féminin et le boy’s love un public gay). Ce ne sont pas les récits qui posent problème à l’éditeur, mais l’utilisation biaisée de ces termes. Elle résulte selon lui d’une “mauvaise compréhension”, voire d’une “réappropriation culturelle.”
“Le terme Yaoi au Japon n’est pas du tout utilisé par les professionnels. C’est un terme un peu péjoratif pour parler de fanzines qui avaient plutôt pour vocation de faire de la fan-fiction d’œuvres populaires.”, explique-t-il. “La catégorie boy’s love a été créée par les éditeurs au moment où ils ont vu qu’il y avait de la demande. Cette catégorie est aussi venue par des éditeurs qui étaient fans et qui ont voulu proposer ce genre de contenu de manière plus professionnelle. Et puis les grosses entreprises se le sont réappropriées“, poursuit-il.
Akata n’emploie pas ces termes car “l’idée c’est de décloisonner et inviter les lectrices et lecteurs à être curieux.” Et pour joindre le geste à la parole, la maison d’édition publie également des romans, comme Tant qu’il le faudra, de l’autrice et youtubeuse française Cordélia, qui raconte les aventures d’une bande d’amis LGBT.