« It’s A Sin » : la série poignante sur les années sida en Angleterre arrive sur Canal+
Chaque fois que Russell T. Davies se lance dans un projet, on s’attend toujours à un choc. Ce fut le cas de « Queer As Folk », « Cucumber » ou encore « Years and Years ». Il récidive avec « It’s A Sin », une fresque poignante des années sida. On ne s’en est pas remis. La série a été diffusée fin janvier sur Channel4 en Angleterre. Vous pouvez la découvrir dès aujourd’hui sur Canal+
Quand en 2016, Russell T. Davies annonce qu’il se lance dans une nouvelle série qui racontera l’histoire de cinq jeunes amis de 18 ans, pendant les années noires du sida, on s’est demandé sous quelles formes il présenterait ce projet. Seule certitude : il voulait rendre hommage à tous ses amis qu’il a perdus ou qui ont traversé comme lui, la décennie tragique des années 80.
Comme il l’explique dans une excellente interview au Guardian, il lui aura fallu tout ce temps pour parler du sida dans l’une de ses créations. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’hommage est fort, sans fioritures, à l’image de ce qu’il a certainement vécu à l’époque. Jill, l’un des personnages féminins phares, est d’ailleurs inspirée de son amie l’actrice Jill Nalder (à qui il a donné un rôle dans la série) et de ce qu’elle a vécu à cette époque. À commencer par son “Pink Palace”, cet appart qu’elle partageait en colocation avec des amis queers.
L’action de It’s A Sin (seulement 5 épisodes !) se situe à Londres. Mais elle aurait complètement pu se situer à Paris dans le Marais balbutiant du Swing, du Subway ou du Village… C’est là peut-être toute la force de la série. Elle nous plonge dans le réel, le vécu, la souffrance mais aussi la joie, l’incompréhension mais aussi la certitude de ne devoir compter que sur nous pour faire bouger les choses. Nous sommes dans cette période où les gays étaient vraiment seuls, stigmatisés bien au-delà de leur seule sexualité. Pour résumer, It’s A Sin raconte les dix années avant 120 Battements par minutes. L’un ne va pas sans l’autre. Sans cette immense colère accumulée pendant les années 80, les actions des associations de lutte contre le sida des années 90 ne nous auraient peut-être pas autant interpelés…
Pas de tabous
Ce qu’on oublie peut-être aujourd’hui, c’est l’état de sidération dans lequel les gays se sont retrouvés au début des années 80. Certains ont très vite vu l’horreur de l’épidémie à venir. D’autres (beaucoup ?) étaient dans le déni. Il faut aussi se remettre dans le contexte. Les homosexuels savouraient les bienfaits de la libération sexuelle mais souffraient aussi de législations très dures quant à leur sexualité. Notamment au Royaume-Uni où, comme le montre très bien la série, le parti d’une certaine Margaret Thatcher vote un amendement interdisant la « promotion intentionnelle de l’homosexualité » et « l’enseignement dans les écoles publiques de l’acceptabilité de l’homosexualité en tant que prétendue relation familiale », la fameuse section 28.
Alors, une épidémie qui ne toucherait que les gays (comme la plupart des médias – même LGBT- le certifiait), c’était tout simplement inadmissible. Les scènes de dépistages (où on attendait les résultats six semaines !) sont particulièrement parlantes. Combien de gays n’ont pas voulu (pu ?) supporter l’annonce des résultats ? Parfois dérangeantes avec la connaissance de l’Histoire, la légèreté de certains homosexuels face au sida est complètement compréhensible.
Une dure réalité
La réalité était très simple à l’époque : l’annonce d’une séropositivité au sida était synonyme de condamnation à mort. La force de la série est de ne pas transformer le tragique des situations en pathos. Car It’s A Sin ne cherche pas à nous faire pleurer à tout prix. Elle nous enseigne, nous raconte, nous explique… Elle est force d’exemples sans jugements… Le seul jugement que Russel T. Davies s’autorise à porter légitimement, est celui qu’il pose sur la société homophobe de l’époque. Le titre de la série empruntée au célèbre tube des Pet Shop Boys signifie littéralement “C’est un pêché”… En clin d’œil à la série où il interprète le rôle de Ritchie, Oly Alexander du groupe Years & Years a d’ailleurs sorti une très belle reprise piano-voix.
En ce sens, la scène entre Jill (l’excellente Lydia West, déjà vue dans la série Years and Years) et la mère de Ritchie est bouleversante de vérité. Elle dit tout simplement la souffrance et la colère endurées par ceux qui sont morts, mais aussi ceux qui restent. Tout au long de la série, un peu comme dans 120 BPM, on sent monter en soi une rage, une volonté de faire bouger les choses… Avec les moyens du bord : un sourire, une caresse, un peu d’amour…
Une leçon d’optimisme
Ce qu’on oublie forcément quand on évoque cette période et ce que Russel T. Davies montre à merveille, c’est que cette époque a été, malgré sa noirceur, d’une positivité extraordinaire, d’une créativité résolument optimiste. La bande originale, en particulier, est bien choisie. Elle joue un vrai rôle de catharsis au milieu des nouvelles très sombres.
Une scène de It’s A Sin est vraiment poignante : c’est le repas post-enterrement. L’histoire de cette scène relève du vécu, c’est clair. Elle a permis à beaucoup de tenir, de regarder l’avenir alors qu’il était on ne peut plus dark, d’envisager le futur et d’imaginer les luttes à venir. Cette série raconte notre Histoire. Regardons-la en face, acceptons-la. Ne serait-ce que pour nos amis disparus. Elle a construit nos libertés actuelles. C’est en tout cas, ce que Russell T. Davies a voulu nous faire prendre conscience. Le message a été entendu.