Molière était-il gay ? Ce que l’on sait de ses amours masculines
A compter de ce 15 janvier, la France fêtera l’année Molière à l’occasion des 400 ans de son baptême. La Comédie-Française lancera les célébrations avec un « Tartuffe » mis en scène par Ivo van Hove qui sera également diffusé en direct dans les salles de cinéma. À cette occasion, Jock.life revient sur la vie de Molière et surtout sur ses amours !
Le Tartuffe ou l’Hypocrite qui sera joué à la Comédie-Française dès le 15 janvier 2022 risque de faire date : en effet, le texte joué n’est pas celui du Tartuffe ou l’imposteur qu’on a tous, pu lire au lycée, mais celui d’une version restaurée en 2010 par Georges Forestier à partir de la pièce jouée une unique fois avant d’être interdite pendant cinq ans. Pour le rôle titre, Ivo van Hove, le metteur en scène, a délibérément choisi un acteur jeune pour accentuer le pouvoir d’attraction ambigu qu’il exerce sur Orgon : « Tartuffe est un mendiant, un crève-la-faim […] Pour une raison qui n’est pas expliquée dans la pièce, Orgon l’invite chez lui, comme on inviterait un SDF, et pour une raison tout aussi inexpliquée, il lui offre une place centrale, presque plus importante que la sienne, au sein de son foyer. […] C’est volontairement que j’ai choisi de distribuer le rôle de Tartuffe à un acteur jeune [ndlr : Christophe Montenez] et, on peut dire, attirant. »
Il reprend à son compte la vision que Roger Planchon a voulu lors de sa proposition de 1964 au Théâtre de la Cité à Villeurbanne : Tartuffe est sexy et il tente de séduire Elmire, mais aussi Orgon… Le critique du Monde de l’époque, Bertrand Poirot-Delpech, qualifiera même de « couple » le duo Tartuffe-Orgon vu par Planchon.
Est-ce pour autant que les amours masculines ont une place de choix dans la vie et dans les pièces de Molière ? Jock.life a posé la question à Jean-Marie Besset. Cet auteur connaît bien le sujet. On lui doit Le Banquet d’Auteuil, pièce jouée en 2011. Librement inspirée d’un court passage de La Vie de M. de Molière de Grimarest (le biographe très contesté de Jean-Baptiste Poquelin), cette pièce raconte une soirée de débauche entre hommes qui aurait eu lieu dans la maison de Molière, à Auteuil… Et quand Besset nous parle de Tartuffe, il dit : « Depuis les années 60, on joue Tartuffe comme le Théorème de Pasolini… »
Les amours de Molière
Pour Jean-Marie Besset, « Molière a eu deux passions : Armande Béjart, son épouse et Michel Baron, un jeune acteur. Mais il était surtout amoureux de la jeunesse. Baron avait 19 ans à la mort de Molière ! » Dans La Fameuse Comédienne, le pamphlet de 1688 sur Armande Béjart, l’auteur du Tartuffe parle de son histoire avec Baron. Molière écrira même la tragédie-ballet Psyché pour ses deux amours. « Mlle Molière est l’adorable interprète de Psyché. […] Baron, dans la radieuse beauté de ses dix-huit ans, joue le rôle de l’Amour. » comme le précise Sylvie Chevalley, ancienne archiviste-bibliothécaire de la Comédie-Française.
L’attirance de Molière pour son jeune acteur n’a jamais été un mystère, en tout cas jusqu’à il y a peu. « Tout le monde le savait. Même Marcel Proust parlait de l’homosexualité de Molière. » rappelle Besset. Dans l’émission Secret d’histoires de Stéphane Bern, diffusée cette semaine sur France 3, on raconte d’ailleurs une anecdote croustillante à leur sujet. Molière voulait offrir un habit sur-mesure au jeune acteur. Le tailleur aurait embarqué tous les vêtements de Baron pour les mensurations. Baron serait resté chez Molière, nu comme un ver, pendant toute une nuit. Libres à nous d’imaginer la suite…
Les gays de Molière
Pour autant, trouver des personnages homosexuels dans l’œuvre de Molière relève du crypto gay. Il a bien ici ou là des « précieux » qui rodent mais aucun ne l’est ouvertement. Il faut lire le texte pour déceler quel gay pourrait se cacher derrière tel ou tel personnage. Pour Jean-Marie Besset, « le personnage de Scapin est très ambigu. Molière lui fait dire, dans les Fourberies, par exemple : ”Je suis homme consolatif, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens…”. On peut l’interpréter diversement. Il y a aussi le fameux grand flandrin de Vicomte dans Le Misanthrope qui préfère cracher dans un puits pendant trois quart d’heure pour faire des ronds dans l’eau, plutôt que séduire une très convoitée coquette qui est juste à côté de lui… »
Dans Le Misanthrope, toujours, Molière semble s’amuser quand il fait dire à Alceste pour décrire Clitandre, un « petit marquis » : « Est-ce par l’ongle long qu’il porte au petit doigt […] Au mérite éclatant de sa perruque blonde ? […] L’amas de ses rubans a-t-il su vous charmer ? […] Ou sa façon de rire et son ton de fausset/Ont-ils de vous toucher su trouver le secret ? »
Molière était gay-friendly, c’est évident. Il faut se rappeler que parmi ses amis, très proches, il y avait beaucoup d’homosexuels. Besset souligne l’amitié très forte entre Molière et Chapelle, par exemple : « Chapelle était un intime de Molière. Il était souvent le premier lecteur des pièces de l’auteur… Il faisait partie de ce que Madeleine Alcover [une spécialiste de Cyrano de Bergerac] appelait le “Gay trio” avec justement, Savinien Cyrano de Bergerac et Charles Coypeau D’Assoucy… »
Couvrez cette bisexualité que je ne saurais voir !
Mais alors, pourquoi le Molière populaire est-il décrit en général comme terriblement hétérosexuel ? Jean-Marie Besset trouve une raison à ça : « On voit les Grands Hommes comme nos enfants. Et on ne veut pas que nos enfants soient gay ou bis ! » C’est le cas pour Molière mais aussi pour Savinien Cyrano de Bergerac que les différentes interprétations de la pièce d’Edmond Rostand à la scène comme sur le grand écran, ont virilisé à outrance. On a plutôt l’habitude de dire aujourd’hui de Cyrano qu’il est libertin… Seul Jérôme Savary avait en 2005, évoqué la possibilité d’interpréter la pièce de Rostand différemment : « On pourrait dire, en délirant, que Cyrano est homosexuel et que c’est de Christian, en fait, qu’il est amoureux [ndlr : et non, de Roxane]. N’est-il pas prêt à tous les sacrifices pour lui ? »
Pendant des siècles, nous avons écrit le roman de Molière tel que la société voulait le voir. Besset ajoute : « Rappelons-nous que notre langue est appelée La Langue de Molière ! Le français, langue nationale officielle, pourrait-il être la langue d’un gay ? Pas sûr… Je me rappelle avoir proposé Le Banquet d’Auteuil à Muriel Mayette, administratrice générale de la Comédie-Française à l’époque. Elle m’avait répondu : “J’aime beaucoup ta pièce. Mais je vais me faire lyncher par mes vieux abonnés…” » Et puis, comme pourrait dire Stéphane Bern, on aime aussi Molière pour ses secrets et parce qu’on n’aura certainement jamais la réponse à de nombreux d’entre eux…