“Tom Ă la ferme” selon Vincent Marbeau
Trois ans aprÚs avoir commencé à travailler sur « Tom à la ferme » de Michel Marc Bouchard et à quelques jours de remonter sur les planches, le jeune metteur en scÚne et acteur Vincent Marbeau nous dit son amour pour ce texte et son impatience à jouer cette piÚce exceptionnelle aux cÎtés de Lydie Rigaud, Léonard Barbier et Miléna Hernandez à la Manufacture des Abbesses.
Par Philippe Escalier
La découverte de l’univers de Michel Marc Bouchard se produit lors d’une représentation des Feluettes dans la mise en scène d’Olivier Sanquer au Vingtième Théâtre. Surpris, séduit, Vincent Marbeau se plonge alors dans l’œuvre du dramaturge québécois. Il éprouve un coup de foudre pour le somptueux texte de Tom à la ferme et son sujet centré autour des mensonges et des non-dits qui accompagnent souvent la vie des jeunes homosexuels. D’autant qu’étonnamment, la pièce ne s’était pas encore jouée à Paris et ce, malgré la notoriété apportée par l’adaptation cinématographique de Xavier Dolan en 2013.
Impossible, en effet, de ne pas être sensible à cette pièce écrite il y a dix ans mais rendue d’une actualité brûlante au vu des drames qui se nouent toujours dans certaines familles et des déclarations effarantes et homophobes entendues encore récemment. Sans compter cette écriture qui sait si bien bouleverser ceux qui la lisent ou l’entendent pour la première fois. L’histoire ? Un jeune publicitaire se rend à la campagne aux funérailles de son amant. Il y fait la connaissance de la mère et surtout du frère du défunt avec qui se noue une relation pleine de perversité où la vérité cherche à être étouffée.
En immersion
D’entrée de jeu, la place centrale de cette ferme où tout se passe, interpelle Vincent Marbeau. Lui qui, suite à des déménagements répétés, avoue n’avoir jamais connu de lieu stable, est sensible à cette composante. « Ce que j’aime, quand je mets un texte en scène, c’est interroger notre rapport aux lieux ». C’était déjà le cas dans Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce qu’il a joué en 2016, dans le Roméo et Jeannette de Jean Anouilh qu’il met en scène la même année ou encore dans Les Feuilles de blettes de Mazen Haïdar qu’il interprète et met en scène lors du festival Off d’Avignon 2018 et au Théâtre Le Brady. Dans chacune de ces pièces, la maison joue un rôle particulier.
L’attirance ressentie pour ce texte le décide à tout entreprendre pour le monter. S’engagent alors, à distance, les premiers contacts avec Michel Marc Bouchard, comme toujours très à l’écoute et bienveillant. Une première impression confirmée quand la rencontre a lieu, fin 2021, au moment où le dramaturge vient aux Déchargeurs présenter sa nouvelle pièce, La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Un dialogue s’engage que Vincent Marbeau résume ainsi : « C’est toujours un très beau cadeau quand l’auteur accepte de vraiment nous confier sa pièce en nous laissant les mains libres ». Avant d’ajouter, « Je suis particulièrement heureux que Tom à la ferme, après la pause Covid, soit reprise dans le monde entier ».
Le plateau de la Manufacture va lui laisser toute latitude pour dérouler sa mise en scène. La scénographie de Jordan Vincent viendra empiéter un peu sur l’espace réservé au public afin de rendre la pièce plus immersive encore. Le même objectif est imparti à la bande son : « J’avais des musiques dans ma tête en lisant le texte et j’ai travaillé sur une évolution de cette bande musicale qui accompagne le cheminement de Tom. Comme la lumière, la musique participe à créer une ambiance et à nourrir le drame.”
De Lagarce à Bouchard
À côté de son Tom à la ferme, sans conteste l’évènement majeur pour lui en cette année 2022, Vincent Marbeau aime mettre deux autres pièces en valeur dans son parcours. Tout d’abord, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce dont il souligne le côté très formateur « Le théâtre de Lagarce interroge la capacité des gens à vraiment dire les choses. La parole se prolonge au-delà de ce qui est dit et pose le silence comme seule retenue avant la vérité. Travailler sur la difficulté de dire. L’impératif de sincérité. Trouver le mot, celui qui convient et ne trahit pas. Ne pas déborder. Parler trop pour ne pas trop en dire. Savoir où les mots vont, jusqu’où ils vont. »
Ensuite, comment ne pas citer son dernier rôle dans la pièce d’Angelica Liddell Liebestod l’odeur du sang ne me quitte pas des yeux à l’Opéra Confluence d’Avignon en juillet 2021, pièce reprise à Arras puis au Centre Dramatique National d’Orléans quelques mois plus tard ? « J’ai pu observer comment cette artiste espagnole aux talents multiples travaillait, sa façon de construire un théâtre qui ne triche pas, incandescent et solaire, malgré une noirceur assumée.”
La création de Tom à la ferme s’est faite avec l’ambition et l’espoir de pouvoir faire voyager cette production à travers une tournée, histoire de ne priver personne de ce moment de théâtre d’une exceptionnelle densité qui nous questionne et nous interpelle. Sa découverte, en particulier pour un public jeune, reste essentielle. C’est dire l’importance d’aller découvrir ce texte à partir du 24 août 2022 et de nous laisser emporter par la magie des mots et le talent des comédiens.