Sébastien Delage: “Ado, j’aurais aimé voir des clips de rock avec des mecs qui se roulent des pelles”
Le chanteur parisien Sébastien Delage sort “L’Ossau”, deuxième extrait de son premier album à paraître en janvier. Jock.life l’a rencontré.
Attention, artiste à suivre. Sébastien Delage a dévoilé ce vendredi 9 décembre sa nouvelle chanson, L’Ossau, accompagnée d’une vidéo qu’il a tourné lui-même. L’Ossau fait référence au Pic du Midi, dans les Pyrénées où vit toujours la grand-mère qui l’a élevé au moment du divorce de ses parents. C’est à elle qu’il rend hommage dans cette ballade sensible, apportant ainsi une pierre supplémentaire à l’édifice des relations si particulières qu’entretiennent les grands-mères et leur(s) petit-fils gays.
Après l’entêtante Qu’est-ce que tu crois?, révélée il y a quelques semaines, L’Ossau est le nouvel extrait de Rien compris, le premier album du chanteur parisien, qui sortira fin janvier. Premier album, mais pas premier disque : Sébastien Delage s’est fait connaître l’an dernier avec un EP très réussi, Fou.
Pour parler de sa musique, de lui et de ses projets, Sébastien Delage nous a reçus dans son studio — au sens immobilier comme musical du terme — du Xème arrondissement.
Si sa carrière de chanteur solo en est à ses débuts, ce n’est pas vraiment un débutant dans le monde de la musique. Le chanteur de 36 ans, qui a grandi en banlieue parisienne, a fait des études de cinéma et d’anglais. Puis il a enseigné en France et à Londres, avant de tout plaquer pour se lancer dans la musique. D’abord avec le groupe d’electro-pop Hollydays, signé chez Polydor. L’aventure dure huit ans. La volonté de se lancer en solo émerge lorsque le groupe s’arrête en 2020 après le premier confinement. “Ça a été hyper difficile. Il y a eu la fin d’une histoire amoureuse de six ans en même temps, et c’est un moment où on m’a diagnostiqué bipolaire. Je n’avais jamais chanté de ma vie et j’avais besoin d’extérioriser tout ça à travers un disque.”, confie-t-il.
Réhabiliter les “chansons à guitare”
Sa musique, il la décrit comme de la “chanson emo-queer”. Explications: “emo, non pas parce que ça ressemble à Evanescence, mais parce que c’est de la chanson sans filtre, ça sort comme ça sort. Parfois c’est un peu pathos.” “Je ne trouve pas que ça soit un gros mot.”, précise-t-il quand on s’étonne de ce mot.
Du côté des arrangements, on est dans l’épure: voix, guitare, basse, batterie. Rien que l’essentiel. “Quand j’étais ado, j’écoutais Radiohead, les premiers Muse, beaucoup de prog, un peu de post-Korn, du metal… plutôt des groupes à guitare, quoi”, indique-t-il. “Avec Hollydays, ça m’a vraiment ouvert à la chanson, que je connaissais moins et que j’avais même en sainte horreur par rapport à ce qu’écoutait ma mère: Véronique Sanson, Nicole Croisille, Michel Legrand. C’est plus tard que j’ai compris qu’il y avait de la grande chanson française et que ce n’était pas incompatible avec le fait de faire de la musique à guitare.”
A l’heure où la sphère musicale LGBT évolue plutôt du côté de l’electro-pop, à l’image d’un Thibaut Pez, avec qui il a partagé la scène récemment, cela fait de lui une perle rare. “A part Orville Peck aux Etats-Unis ou Mashrou’Leila au Liban, la musique queer à guitare, je n’en entends pas” confirme-t-il, avant d’ajouter : “Ce n’est pas la pop qui me touche.”
“Chanson de baise”, un instantané de la sexualité gay
Il sort fin 2021 son premier EP Fou, qui contient l’excellente Les garçons de l’été hymne aux amours et plans cul de vacances.
Sans oublier la très daho-esque Chanson de baise. Si les paroles de la chanson restent assez soft, le clip, avec sa scène de sexe à plusieurs, se fait un peu plus explicite. Le genre d’images qu’on peut voir (parfois) au cinéma ou dans des séries, mais moins dans la musique. “On voulait que ça soit un instantané de la sexualité gay à Paris en 2022, dit-il. C’est important d’avoir cet objet parce que quand j’étais gosse on n’avait pas cette représentation de la sexualité queer dans l’art. Les gens pensaient à La Cage aux folles. Quand j’étais ado, j’aurais aimé voir des clips de rock avec des pédés qui se roulent des pelles, j’aurais trouvé ça rassurant.” Les images non-utilisés du clip ont ensuite été présentées dans un fanzine.
La vidéo ne lui a pas valu que des compliments, y compris au sein de sa famille. “J’ai eu des messages très positifs, mais ça a généré quelques insultes. Ma mère n’est pas du tout ok avec ça. J’ai essayé de lui expliquer d’où ça venait. L’éducation telle que je l’ai vécue à l’école, on t’expliquait comment se reproduire en tant que personne hétérosexuelle. Pendant longtemps, j’ai cru que j’étais anormal, déviant, pervers. Ça a été une souffrance, comme pour beaucoup de gens. Le but c’était ça, de montrer une sexualité positive, joyeuse, fière, qui parle de consentement, de plaisir, de désir, d’amour. Ça n’a pas été du coup compris par ma mère. Pour elle c’est pornographique. Je comprends qu’elle soit mal à l’aise. Mais elle c’était au-delà, elle a honte. C’est en ça que je me dis que j’ai eu raison de le faire. “
“Le but, à long terme, c’est de produire d’autres artistes queer”
Rien compris, son premier album, qui sortira le 20 janvier, est un “prolongement de l’EP”. “Une chose dont je suis très heureux, c’est qu’il n’y a aucun titre de l’EP sur l’album. Ce sont deux disques qui vont ensemble. Ils ont été écrits et enregistrés en même temps. C’est une version un peu plus sombre de l’EP.”, explique-t-il avant de tempérer: “Il y a des choses plus légères comme Polyamoureux transi ou Dale Cooper (le nom du personnage de Kyle MacLachlan dans Twin Peaks et celui d’un acteur porno)”.
Son EP et son futur album sortent sur son propre label, Drama Queen Music, qui ne compte pour l’instant qu’un seul artiste : lui-même. “Il faut d’abord faire rentrer l’argent dans les caisses !“, s’exclame-t-il. “Mais le but, à long terme, c’est de produire d’autres artistes queer qui ne font pas forcément de la pop”
Sa démarche s’explique en partie par l’homophobie du monde de la musique. “Notre directeur artistique de Polydor m’avait dit, sans penser à mal je pense, “évite de dire que tu es gay en interview parce qu’on pourrait se couper d’un pan de la population qui va être réfractaire à écouter Hollydays”, se rappelle-t-il. “Lorsque j’ai décidé de monter un label pour faire mon disque, j’ai décidé que ce serait un label queer.” En musique comme ailleurs, on est rarement mieux servi que par soi-même.