Témoignages : « Je fais un métier où l’homosexualité n’est pas vraiment acceptée »
Boucher, peintre en bâtiment, professeur de sport mais aussi ingénieur ou routier… Nos témoins préfèrent ne pas dire qu’ils sont gays au boulot parce que l’ambiance n’y est pas forcément très gay-friendly. Comment travaillent-ils sereinement dans ces conditions ?
Selon le baromètre IFOP-L’Autre cercle 2022 sur l’inclusion des personnes LGBT+ au travail, une personne LGBT+ sur deux n’est pas visible dans son organisation professionnelle et 60 % des LGBT+ sont invisibles auprès de la totalité ou d’une partie de leur supérieurs hiérarchiques directs. Parmi ces invisibles, 83 % le sont pour préserver leur évolution de carrière et 67 % pour assurer leur bien-être quotidien au travail. Le monde professionnel n’est donc pas un endroit où le coming out est facile.
“Au boulot, je redeviens hétéro”
Nos témoins ont décidé de taire leur homosexualité parce que les personnes avec lesquelles elles travaillent ne sont pas vraiment les plus gay-friendly qui soient. Marc (46 ans, de Poitiers) est routier à l’international : « Je n’ai pas de problème particulier avec mes proches ou mes amis. Ils savent tous que je vis avec un homme. J’assume entièrement. Je fréquente les lieux gays dès que j’en ai la possibilité. Mais au boulot, je redeviens hétéro. Parce que j’ai essayé d’en parler à mon ancien boulot et que ça ne m’a attiré que des problèmes. Aujourd’hui, je suis célibataire et je ne m’étale pas trop sur le sujet… » Ne pas le dire pour vivre ses heures au boulot de manière plus sereine, donc…
Se taire pour avoir la paix
Marc admet que c’est assez simple pour lui qui passe la majeure partie de son temps professionnel seul dans son camion. Pour Sébastien (35 ans, de Clermont-Ferrand), c’est beaucoup plus délicat. Il est professeur de sport dans un collège. Il nous explique pourquoi il n’en parle pas.
« Être prof de sport, c’est déjà avoir une image particulière au collège. On est des bourrins avec qui ça ne sert à rien de discuter, on ne parlerait que foot ou athlétisme… (Rires) Et aussi étrange que cela puisse paraître, je préfère être le bourrin de la salle des professeurs plutôt que le gay en jogging. Parce que l’homophobie existe partout. On s’en rend vite compte. A l’un de mes premiers conseils de classe, un prof de maths s’est moqué d’un élève parce qu’il était trop efféminé. Je n’ai rien dit… Mais j’ai compris que même dans l’école de la République, il n’était pas toujours facile d’être soi-même. »
Sans parler des blagues homophobes qui sont légion quand on travaille dans cet environnement.
Éviter les remarques désobligeantes
Rodolphe (29 ans, de Gennevilliers) travaille comme boucher dans un hypermarché de banlieue parisienne. Il n’a jamais dit qu’il était gay : « Je savais en signant mon CDI que j’entrais dans un monde où être homosexuel n’est pas forcément accepté. La boucherie est virile. Pas un métier de tapette ! Comme avait l’habitude de dire mon chef. Avec ce genre de remarque, tu n’as pas envie de dire que tu es gay… »
Marc est du même avis que Rodolphe : « L’insulte préférée de tous les conducteurs, routiers ou non, c’est : “Enc*lé !” Va dire à ceux qui la sortent à toutes les occasions, que toi… De toute façon, les mecs en camion n’ont pas l’habitude de parler de leur vie privée. Tout juste pour se plaindre de leur femme. Ils ne me posent pas de questions. Ils m’envient même parce que je suis célibataire. »
Rodolphe se rappelle d’un jeune homme qui était la tête de turc de l’équipe de bouchers : « Le pauvre gamin, il s’en prenait tous les jours. Il serrait les dents et ne disait rien. Je le voyais souffrir. Je ne voulais pas être comme lui au boulot. »
Un plan de carrière
« Quand je suis entré dans la boîte comme peintre en bâtiment, j’étais tout jeune », raconte Miguel (39 ans, de Tarbes). « Je n’avais pas fait d’études. J’ai considéré ce job comme une chance. Je savais que j’étais gay. Je n’ai rien dit parce que mes collègues ne savaient même pas ce que ça voulait dire… Mon chef était très content de mon boulot. J’ai vite eu des promotions et quand il est parti à la retraite, il y a cinq ans, j’ai pris sa place. Au même moment, le fils du patron, qui était lui-aussi gay, a dû quitter la boîte sous la pression de son père. J’étais soulagé de n’avoir jamais rien dit. Je pense que je ferai mon coming out professionnel un jour, mais ce n’est toujours pas le moment… »
Comme Miguel, Jean-François (31 ans, de Montbéliard) a préféré ne rien dire : « Je suis ingénieur dans l’automobile. J’ai un plan de carrière bien dessiné. Mon travail me plait. Je suis persuadé qu’à compétence égale, s’il doit y avoir une personne promue, on choisira l’hétérosexuel, et pas le gay. Je ne veux pas que ma sexualité me bloque professionnellement. On en est là, ça me navre… Mais c’est comme ça ! »