Hedwig and the Angry Inch Ă Paris : rencontre avec John Cameron Mitchell
AprĂšs son succĂšs lors du dernier festival dâAvignon, le musical rock fait sa 1Ăšre le 18 septembre au CafĂ© de la Danse. LâĂ©vĂšnement sera marquĂ© par la prĂ©sence du crĂ©ateur, John Cameron Mitchell que nous avons eu le plaisir de rencontrer pour parler de ce musical culte (et queer) mais aussi de ses films et de son goĂ»t pour la dĂ©fense des valeurs humanistes.
Interview : Philippe Escalier
John, vous avez écrit Hedwig and the Angry Inch avec le compositeur Stephen Trask. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Au début, Tommy devait être le personnage principal. Il me ressemblait beaucoup. Il était obsédé par l’idée de trouver son autre moitié : Jésus, sa mère, la baby-sitter ?! Stephen Trask m’a ensuite encouragé à me concentrer davantage sur Hedwig, inspirée par Elga, la baby-sitter de mon frère, qui était divorcée et accessoirement prostituée. En parallèle, Stephen m’a parlé d’un drag club où l’on pourrait donner des shows avec notre musical mais pour cela il fallait que je puisse me transformer en drag. C’est comme ça que j’ai commencé à jouer le rôle d’Hedwig et que son personnage s’est révélé de plus en plus intéressant pour moi.
Stephen lui, est vraiment devenu dramaturge, participant pleinement à la création de ce spectacle. Le travail que nous avons fait ensemble sur la musique a été très facile puisque nous avions les mêmes idoles : Lou Reed, John Lennon, David Bowie, Patty Smith, Yoko Ono.
Si le personnage est très spécifique, la musique elle, est très variée avec de la country music, du glam rock, de la chanson. Stephen Trask a réussi à agglomérer Platon (qui dans Le Banquet développe le mythe de l’androgyne), ma propre vie (enfant de militaire ayant grandi dans différents pays d’Europe) et l’aspect gnostique (d’où vient le nom de Tommy Gnosis).
Ce que j’aime beaucoup avec Hedwig, c’est tout le processus, la comédie musicale, le film, l’album. C’est toujours différent, cela ne s’arrête jamais et je suis très attaché aussi à l’idée de ne pas contrôler les productions et de les laisser entièrement libres.
À ce propos, êtes-vous surpris par les différentes façons d’adapter Hedwig selon les pays ?
Chaque pays a sa façon d’interpréter l’œuvre. En Corée, par exemple, ils vont moins insister sur l’aspect queer et la sexualité pour davantage focaliser sur l’histoire d’amour et le mythe de Platon. C’est un pays divisé à qui le mur de Berlin parle beaucoup. Ils sont plutôt dans l’idée de trouver son autre moitié, une quête qui existe dans tous les imaginaires.
Sur cette notion de partenaire et de genre, je voudrais souligner que l’on constate à la fin du show, la capacité d’Hedwig de se « réparer » non plus à travers Tommy, mais en puisant dans ses propres forces. Elle n’a plus besoin de ses robes, de ses perruques ni de nourrir un côté vengeur. Il s’agit pour elle de devenir une personne à part entière capable de dire : « Je suis ainsi, vous m’acceptez ou pas, je ne change plus !». Je me suis aperçu que les gens pouvaient s’identifier à ces situations là, ce qui m’a rendu très heureux !
Le musical a 25 ans et reste pourtant étonnamment moderne…
En effet, mais cela est dû au fait que les questions d’identité et de genre sont intemporelles et se retrouvent à toutes les époques. Dernièrement, c’est devenu plus important encore, les gens étant très attachés à leur liberté de choix. Face à cela, on voit la montée des fascismes qui veulent simplifier ces questions en mettant les gens dans des cases très spécifiques afin de pouvoir mieux les contrôler. Or, en réalité, nous sommes tous des personnes uniques avec nos histoires particulières. L’important étant de conjuguer cette liberté d’être nous-mêmes avec le fait de se montrer attentifs et respectueux.
Hedwig mis à part, de quoi êtes-vous le plus fier ?
Je suis très fier du film Shortbus. J’ai commencé ma vie comme catholique effrayé par la sexualité. J’ai évolué. Être gay était culturellement important pour moi, j’ai fait mon coming-out en 1985, pendant la montée du sida, dans un climat de haine. Politiquement nous étions très stigmatisés. Reagan et Bush nous ont laissé mourir, avec cette notion de : « Vous méritez de mourir, on ne va pas s’occuper de vous » ! On pouvait constater tout ce que les gens étaient capables de faire pour se séparer des autres. Shortbus est à l’opposé de cela avec cette façon d’utiliser le sexe pour nous rassembler.
La remarque « Hedwig a changé ma vie », je l’ai aussi souvent entendue à propos de Shortbus. Le sexe, ce n’est pas forcément du porno, ni un film dépressif français, cela peut être quelque chose d’autre. L’effet Shortbus dure dans le temps et j’aime beaucoup cela. La France fait partie des pays ayant le mieux accueilli le film, probablement plus qu’Hedwig, peut-être parce que vous êtes moins connectés au rock’n roll que les États-Unis.
Au cinéma, vous avez pu travailler à deux reprises avec Nicole Kidman : Rabbit Hole en 2010 et How to Talk to Girls at Parties en 2017. Que pouvez-vous dire au sujet de cette collaboration ?
C’est une collaboration à la fois intéressante et surprenante. Hollywood a tendance, pour lancer de nouveaux projets, à engager des réalisateurs et des acteurs ayant fait des choses très similaires. Nicole Kidman avait vu Shortbus, elle avait réussi à percevoir dans l’esprit du film ce qui pourrait fonctionner avec Rabbit Hole. Elle a fait ce choix courageux (elle venait juste d’avoir un enfant) avec l’envie de faire des choses différentes. Elle m’a fait confiance pour la guider dans cette histoire de parents qui perdent un enfant, même si cela s’est avéré difficile pour moi, les producteurs étant restés très présents sur le tournage. Un peu plus tard, elle a aussi interprété un rôle très fun pouvant faire penser à Vivienne Westwood, dans mon dernier film présenté à Cannes en 2017 How to Talk to Girls at Parties.
Vous vivez aux USA. Comment ressentez-vous le lourd climat politique actuel ?
Je vis en effet à la Nouvelle-Orléans. La politique, c’est un peu un cauchemar mais on a tous nos cauchemars. Vous avez Marine Le Pen, même si ce n’est pas tout à fait la même chose que Trump. Mais ce sont toujours les mêmes vieilles histoires de stigmatisation que l’on doit affronter, contre tout ce qui s’éloigne de la norme, les gens de couleurs, les LGBT, les femmes et le droit à l’avortement ! J’ai grandi dans l’armée et l’armée américaine est plus ouverte à la diversité du simple fait qu’elle est composée de cultures différentes, et ce, même si l’on y trouve du racisme et de l’homophobie. Il n’en reste pas moins que sous divers aspects, elle est plus sociale que les États-Unis avec un système de santé qui est bien meilleur et cette possibilité d’évoluer avec la promotion au mérite.
Ceci étant dit, pour ma part, je fais en sorte d’être présent pour ma communauté, de faire ma part avec les moyens qui sont les miens. Je pense que l’immigration est vitale pour un pays, à tous points de vue. Et face aux problèmes, parce que nous n’en manquons pas, nous devons chercher des solutions ensemble plutôt que de nous replier sur de surréalistes questions d’identité !